INTERPRÉTATION AIR FRANCE DE LA LOI ANTIGRÈVE
Publiée au Journal Officiel du 20 mars, la loi encadrant le droit de grève dans les transports aériens est entrée en vigueur le 21 mars 2012.
La Compagnie vient de publier une information sur sa propre interprétation des modalités d’application de la loi Diard. Une note spécifique pour chaque population a été mise en ligne et un courrier du Directeur Général adjoint aux ressources humaines et à la politique sociale nous a été adressé.
Comme chacun le sait, la Compagnie n’était pas totalement étrangère à l’émergence de cette proposition de loi votée en urgence dans les tout derniers jours de la dernière session parlementaire avant les échéances électorales que nous connaissons.
Nous avons combattu cette loi en appelant l’ensemble des navigants de toutes les compagnies à cesser le travail, avec le peu de succès que l’on sait. Sans doute, dans leur majorité, les PNC n’avaient-ils pas entendu nos arguments. Sans doute la situation économique dans le transport aérien en général et à Air France en particulier a-t-elle réduit l’implication de notre population. Sans doute encore, les implications de cette loi n’avaient-elles pas été bien comprises.
Avec l’éclairage donné par les dernières publications de la Compagnie qui donnent une interprétation singulière à cette loi, les objectifs que poursuivait Air France en soutenant cette loi deviennent évidents.
De fait, cette loi introduit des modifications de différentes natures.
- Le nouvel article L.1114-2 du code des transports invite les entreprises du secteur du transport aérien de passagers à la conclusion d’accords-cadres de prévention des conflits.
- L’introduction d’un préavis individuel de 48 h avant toute participation à une grève. L’obligation de déclaration pèse sur tout salarié dont l’absence est de nature à affecter directement la réalisation des vols.
- L’introduction d’un préavis de 24 heures pour déclarer son intention de renoncer à faire grève ou de reprendre le travail.
- L’introduction de sanctions disciplinaires pour les salariés qui n’auraient pas satisfait aux nouvelles obligations de préavis individuel.
- La possibilité de recours à un médiateur choisi d’un commun accord.
- La possibilité à l’initiative de l’entreprise ou d’une organisation syndicale représentative, voire du médiateur, d’organiser une consultation ouverte aux salariés concernés par les motifs de la grève et portant sur la poursuite de celle-ci.
Certaines de ces modifications n’ont d’autre vocation que d’habiller un texte qui, selon nous, n’a pas d’autre objectif que de restreindre le droit de grève des navigants.
Les points 1 et 5 ne servent à l’évidence que de garniture pour les points qui les suivent.
Le point 1 n’est qu’une invitation à la négociation d’un accord de prévention des conflits (on pourrait dire de veille sociale) qui dans les faits existe déjà dans la plupart des entreprises du secteur et notamment à Air France. D’expérience, on sait quelle est la piètre valeur que les deux parties, employeurs comme syndicats, accordent à de tels accords…
Le point 5 est une procédure de médiation qui était déjà prévue notamment par l’article L. 2523-1 du Code du travail. Ici, il habille le point 6 qui, par l’introduction d’une possibilité de consultation purement « consultative », n’est qu’un outil de propagande au service de l’Entreprise.
Le corps du texte, son essence, réside dans les points 2, 3 et 4 qui sont pour les initiateurs de la loi, des points « d’encadrement » du droit de grève et pour nous, les éléments de restriction à notre droit de grève. Au-delà de la lecture directe de ces points, de nouvelles obligations sont induites. Et en contraignant les moyens de lutte des syndicats, cette loi diminue la capacité des salariés à utiliser le conflit social comme arme de négociation ce qui restreint de façon importante le pouvoir de négociation des syndicats.
La déclaration individuelle à 48 heures nécessite de la part des syndicats appelant à un conflit une information publique largement supérieure à 48 heures. Ce qui implicitement rend nécessaire si ce n’est obligatoire un « préavis » collectif de fait, dans des entreprises de droit privé déconnectées d’un service public. Cette obligation constitue une « évolution » inédite du droit du travail, dont l’impact à terme est vecteur de remises en causes plus inquiétantes encore. Ce préavis ampute la nécessaire capacité de réaction des organisations syndicales. Ce qui dans un contexte aussi difficile que celui que nous traversons peut s’avérer être un handicap certain. Outre le fait que cette anticipation des entreprises sur la mobilisation des salariés permettrait l’information des passagers (le prétexte de cette loi), elle permettra assurément à l’Entreprise de différer la négociation pour connaître le niveau de mobilisation des salariés et ensuite de préparer des mesures finement adaptées pour réduire l’impact de la grève (affrètements, etc.).
Pour celles et ceux qui douteraient encore de l’objectif de ce texte, précisons que les entreprises n’ont pas d’obligation de résultat dans l’information des passagers.
Les obligations, c’est pour le salarié. La loi ne manque d’ailleurs pas de lui rappeler qu’il encourt des sanctions disciplinaires. C’est bien principalement cette partie du texte qui est mise en exergue dans la communication antigrève d’Air France.
Dans un mémo très orienté, Air France prend quelques libertés d’interprétation de la loi. Elle décrit les obligations, quitte à en inventer certaines, et met l’accent sur les sanctions.
Air France n’hésite pas à sortir du cadre de la loi. Ainsi, la Direction introduit un préavis pour les activités sol qui ne correspondent pas à l’objet de la loi. Elle définit une procédure de déclaration et un moyen de contact restrictif quand la loi l’autorise seulement à désigner la personne à prévenir dans l’entreprise… La procédure imposée par la compagnie génèrerait pour certains salariés, dans certains cas, des impossibilités d’exercer son droit de grève.
D’autre part, la compagnie profite de cette communication pour nous livrer son interprétation du décompte des jours de grève, des possibilités de grève en escale en oubliant de mentionner le fait que certaines escales sont également des bases d’affectation de l’entreprise dans lesquelles la grève n’est pas interdite, etc. bref, beaucoup de choses fausses, inventées, non décrites par la Loi, et qui au minimum nécessiteront des négociations, certaines devant même être tranchées par les tribunaux.
Lors de la dernière campagne électorale, de nombreuses voix se sont élevées contre cette loi et certains ont même parlé de l’abroger.
Nous ne sommes pas naïfs au point de penser que cette Loi va disparaître dans les semaines qui viennent. Toutefois, nous tenterons dès que possible d’y faire apporter quelques aménagements. Si cette loi n’est pas modifiée dans les prochains mois, nous devrons repenser l’organisation des conflits, leurs séquencements, leurs durées…
Un outil de négociation, même dégradé, reste un outil indispensable dont nous devrons apprendre à optimiser l’efficacité.
Nous n’oublierons pas que si elle introduit des sanctions disciplinaires pour les salariés, elle introduit également des sanctions pénales (1 an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende) pour la personne qui utiliserait les déclarations individuelles à d’autres fins que d’organisation de l’activité et du service pendant la durée de la grève.
Ne tenez pas compte des consignes de grève publiées par la Direction. Le cas échéant, les syndicats représentatifs du PNC publieront leurs propres consignes de grève, en tout cas l’UNAC le fera.
Dans sa forme actuelle, cette loi est une véritable entrave à la grève, donc une entrave à la négociation.
Ne tenez pas compte des consignes de grève publiées par la Direction.