LE SÉNAT DIT NON AU SYNDICALISME CATÉGORIEL
Un projet de loi est en discussion au Parlement. Il comporte des dispositions concernant le transport aérien et certains syndicats, dont l’UNAC, veulent y faire figurer la création de collèges électoraux spécifiques pour les pilotes et les PNC.
Avril 2008 : La CGT et la CFDT signent avec le MEDEF un « accord » qui n’en est pas vraiment un puisque ce n’est qu’une « position commune » du 9 avril 2008. Cette « position commune » des syndicats signataires vise à modifier radicalement les règles qui régissent la représentation des salariés (les syndicats) et la vie contractuelle (les accords, qui peut les négocier, qui peut les signer, etc.).
Un des objectifs, à peine masqué, des signataires était, notamment, de forcer une « recomposition syndicale », ce qui en langage commun peut se traduire par : la disparition des petits syndicats au profit des grosses confédérations syndicales. À cet effet, de nouveaux critères de mesure de la « représentativité » des syndicats ont été créés. Ces critères nouveaux conduiront une bonne partie des syndicats à tout simplement… disparaître !
Août 2008 : l’Assemblée Nationale et le Sénat ont voté une loi reprenant à l’identique le contenu de la position commune du 9 avril 2008. Cette loi provoque, depuis, un véritable séisme dans le monde syndical de la France entière. Pratiquement toutes les règles de représentation des salariés sont complètement bouleversées. Personne n’est aujourd’hui capable de dire si ces bouleversements vont améliorer, ou pas, la représentation des salariés.
Pour le petit monde des navigants, microscopique, à l’échelle de ces transformations, cette nouvelle loi provoque, indirectement, un véritable raz-de-marée. Une première conséquence évidente est la disparition quasi automatique du syndicalisme catégoriel navigant.
REPRESENTATIVITE
Avant la loi du 20 août 2008, lorsqu’un syndicat était reconnu représentatif, il le restait sans contrainte de durée. Cette représentativité pouvait même être « incontestable » (la loi disant irréfragable) pour le cas des syndicats affiliés à une confédération syndicale (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC).
Depuis cette loi, un nouveau critère doit être respecté : obtenir au moins 10 % des voix à l’élection des délégués du CE, à chaque élection, sous peine de ne plus exister ! Rapidement, on constate que les syndicats qui ne représentant qu’une corporation, les PNC et les PNT, par exemple, ne pourront que rarement atteindre ces 10 % au niveau de l’ensemble de l’entreprise.
Exemples : dans une entreprise de 60 000 salariés, comment 4 000 pilotes peuvent-ils obtenir 6 000 voix PNT pour être représentatifs dans l’entreprise ? Pour les PNC, ces 6 000 voix ne sont pas impossibles en théorie avec 15 000 PNC, mais dans la pratique, comme le pourcentage de participation des PNC aux élections est souvent faible, personne ne peut atteindre ce seuil.
Seuls les syndicats membres d’une confédération syndicale qui additionneront leurs voix PNC, ou PNT, à celles des autres catégories de salariés pourront s’en tirer.
Exemple : FO pourra additionner les voix PNT + PNC + Employés + Maîtrises + Cadres pour atteindre, sans doute (!), le seuil de 10 % des votants à l’échelle de l’entreprise.
VALIDITE DES ACCORDS
Avant la loi du 20 août 2008, un accord était valable même avec la seule signature d’un syndicat éventuellement très minoritaire. En revanche, les syndicats majoritaires pouvaient faire valoir un « droit d’opposition », à condition de représenter au moins 50 % des voix aux élections CE.
Depuis la loi du 20 août 2008, pour qu’un accord collectif soit valable il faut qu’il soit signé par un ou des syndicats ayant obtenu ensemble au moins 30 % des voix aux dernières élections des délégués du CE.
À Air France, l’élection des délégués du CE se fait, de façon dérogatoire à la loi commune, dans un collège électoral (les électeurs) rassemblant les PNT et les PNC. C’est une exception Air France depuis très longtemps (le texte actuel date du début des années 90).
Nous vivions très bien avec ce particularisme, mais dorénavant, la loi nous oblige à mesurer le « poids » des signataires dans des accords qui peuvent être spécifiques PNT ou PNC.
Comment vérifier que les signataires PNT représentent bien 30 % des voix PNT quand tous les électeurs PNT et PNC sont assemblés dans un même collège électoral ?
Même problème pour les accords PNC ! Jusqu’à présent, on a toujours trouvé des « arrangements » entre syndicats de pilotes et syndicats de PNC, mais les nouvelles contraintes de la loi du 20 août rendent ces « arrangements » très, très, difficiles pour des syndicats catégoriels non affiliés à une confédération syndicale (SNPL).
POUR RÉSUMER
Avec cette nouvelle loi, un syndicat qui fait 10 % des voix dans son CE est représentatif dans son établissement :
10 % au CE LIGNES => représentatif dans l’établissement Opérations Aériennes.
Pour qu’un accord s’appliquant exclusivement aux salariés d’un établissement soit valable, les signataires doivent représenter 30 % des voix au CE de cet établissement :
30 % au CE LIGNES pour qu’un accord collectif PNC soit valable.
Pour être représentatif dans toute l’entreprise, il faut 10 % des voix de l’ensemble des salariés de l’entreprise et pour qu’un accord s’appliquant à tous les salariés de l’entreprise (salarial, intéressement, etc.) soit valable il doit être signé par des syndicats représentant 30 % des voix de l’entreprise.
Voilà pourquoi une telle agitation règne autour de la discussion, au Sénat et prochainement (fin mai) à l’Assemblée Nationale, d’un projet de loi (relatif à l’organisation et à la régulation des transports ferroviaires et portant diverses dispositions relatives aux transports) au sein duquel quelques syndicats, dont l’UNAC, cherchent à faire insérer une disposition créant des collèges électoraux catégoriels (un collège PNT et un collège PNC).
Le 9 mars dernier, le Sénat a voté contre la création de collèges spécifiques. C’est une mauvaise surprise ! Nous avions, avec d’autres syndicats PNC et/ou PNT, fait tout un travail d’explications et de lobbying auprès du Gouvernement et des Sénateurs, mais l’ambiguïté de la position d’Air France, l’opposition du Gouvernement sur le collège PNC et le lobbying très efficace des confédérations syndicales signataires de la position commune du 9 avril 2008 ont eu pour résultat que les Sénateurs ont refusé de contredire ce qu’ils venait de voter il y a à peine 8 mois (loi du 20 août 2008).
Nous allons donc devoir tout recommencer auprès des Députés, le débat à l’Assemblée devant se dérouler peu après le 19 mai.
UNE QUESTION DE PRINCIPE
Au-delà des questions pratiques (mesure de la représentativité des syndicats, validité des accords) se pose aussi un problème de fond, une question de principe touchant à l’histoire du syndicalisme. Les premières formes du syndicalisme ont été le fait d’une minorité d’ouvriers qualifiés qui ont cherché à maîtriser leurs conditions de travail et à réguler les embauches afin d’éviter qu’une offre de main-d’œuvre trop importante ne nuise à leurs salaires. Ce syndicalisme était basé sur des corporations avec une forte identité professionnelle.
Dès la fin du XIXe siècle, la loi sur la liberté syndicale (1884) reconnaîssait que toute profession pouvait s’organiser syndicalement (médecins, architectes, etc.). Le syndicalisme catégoriel a, dès lors, participé à la création d’une identité collective qui a renforcé les liens de solidarité entre les membres et qui a donné aux syndicats une forte légitimité leur permettant de mieux défendre une profession.
Suite à l’industrialisation d’après-guerre et au fil des évolutions technologiques, cette « conscience professionnelle » a évolué vers une « conscience de classe ». D’aucuns considèrent que ces deux notions sont contradictoires et que le syndicalisme doit se diriger vers l’action politique. Les évolutions les plus récentes laissent effectivement penser que l’action politique des syndicats a pris le pas sur l’action de classe ou l’action professionnelle.
Pour nous, le syndicalisme catégoriel et la « conscience de métier » ne sont pas forcément contradictoires avec la « conscience de classe ».
La CGT, elle-même, en 1975, faisait le constat que les fédérations ouvrières les plus actives étaient celles où l’identité professionnelle était la plus affirmée. Et lorsqu’elle parlait de « fédérations actives », à l’époque, c’était pour qualifier celles qui entretenaient le plus la volonté de « transformer le monde » !
Qu’on ne se méprenne pas, notre propos n’est pas de dire qu’il y aurait un « bon syndicalisme » (le catégoriel, qui préserverait un îlot de prospérité autour d’une minorité de privilégiés) et un « mauvais syndicalisme » (le non catégoriel qui chercherait à nouer des liens de solidarité plus larges dans le monde des salariés au détriment des avantages catégoriels).
Selon nous, le syndicalisme catégoriel navigant, tel qu’on le conçoit, ne se réduit pas à une simple crispation sur la préservation d’intérêts catégoriels acquis !
La solidarité, même élargie, peut s’exercer à partir d’un syndicalisme de métier.
On peut même constater, qu’à l’inverse, la disparition progressive ces dernières années des repères identitaires catégoriels navigants n’a pas fait reculer l’individualisme ni créé un autre cadre d’intégration sociale, qu’on l’appelle « classe sociale » ou de toute autre façon…
Pourtant, les syndicats ont continué de suivre une autre voix. C’est ainsi que depuis une trentaine d’années, les confédérations syndicales ont cherché à imposer le principe « industriel » selon lequel tous les salariés travaillant dans un même établissement ou une même entreprise doivent être syndiqués ensemble, quelle que soit leur « catégorie professionnelle » ou leur « statut professionnel ». En vertu de ce principe, les confédérations ont le plus souvent dissous les syndicats de métier.
Le résultat a bien souvent été inverse à celui recherché. En s’éloignant d’une véritable identité professionnelle, les syndicats se sont éloignés de leur base sociale et le nombre d’adhérents n’a fait que décroître pour devenir le plus faible d’Europe.
Le syndicalisme PNC a, malheureusement, suivi un chemin tout à fait parallèle avec ces évolutions.
Cette loi du 20 août 2008, risque fort de consacrer la disparition du syndicalisme strictement catégoriel. L’histoire nous dira si c’est au profit des salariés, mais nous ne sommes pas très optimistes.
Notre « base sociale » est la population des navigants professionnels, cela ne nous a jamais interdit d’être
solidaires, au sens le plus large, avec l’ensemble
du monde salarié et ne nous a jamais fait perdre notre « conscience de classe ».
C’est pourquoi, nous continuons de revendiquer
un collège électoral PNC pour les élections
au Comité d’Entreprise.
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